HISTORIQUE DE LA CREATION EN 1864

L’idée de départ

Gustave Bizet, croyons-nous, émit un jour l'idée de travailler plus sérieusement et de consacrer régulièrement chaque dimanche deux ou trois heures à des études musicales : on déchiffrerait des partitions, on étudierait
des chœurs que l'on chanterait pour soi ; à l'occasion, l'un ou l'autre des camarades soupirerait une romance, entonnerait un air d'opéra, débiterait, une chansonnette et ainsi la journée se passerait agréablement.

L'idée fut adoptée avec enthousiasme. Avant que la chorale fût sur pied, ne disposait-on pas déjà d'un local, puisque les parents du camarade Janssoone tenaient, en pleine place Jean-Bart, au centre de la Ville,
le Café du Soleil qui offrirait son hospitalité. Ne possédait-on pas par avance un chef des chœurs idéal, un professeur émérite et dévoué en la personne de cet excellent Adolphe Piéters dont le concours était
tout acquis et qui fut toujours prêt à se dévouer aux œuvres qui contribuaient au développement de l'art
musical à Dunkerque.

L'idée était éclose : on ne s'attarda pas longtemps avant de la réaliser. En quelques causeries amicales
tout fut réglé.

Sous quel nom se faire connaître ?

Mais d'abord, sous quelle dénomination la chorale qui aspirait à vivre se présenterait-elle aux autres sociétés dunkerquoises ? Ils voulaient un nom flamboyant, pittoresque, original. Un souvenir littéraire de l'époque du Romantisme le leur apporta. Ils se rappelèrent que, vers 1833, au plus fort de la mêlée romantique,
il s'était formé autour de Théophile Gautier un groupe de jeunes qui affectaient de se singulariser autant par l'intransigeance outrancière de leurs théories artistiques et littéraires que par la singularité du costume dont
ils s'affublaient: c'était Les Jeunes-France. Le mot plut : il fut décidé que la nouvelle association chorale s'appellerait Les Jeunes-France. Nos orphéonistes dunkerquois ne tardèrent pas à trouver cette appellation
bien prétentieuse (avaient-ils tort ?) et celle de Association Chorale La Jeune-France prévalut bientôt.
C'est sous cette dénomination que notre Société à conquis un rang plus qu'honorable parmi les phalanges chorales des régions du Nord et même (disons-le avec une légitime fierté) parmi les Sociétés orphéoniques
de la France entière.

Longuement, au cours d'amicales conversations, les jeunes membres de la Société Dramatique avaient
discuté leur projet sous toutes ses faces. Il convenait maintenant de lui donner une forme définitive et
on rédigea un règlement. Voici le texte de ce document qu'il est important de reproduire puisqu'il constitue
la charte fondamentale de notre Société :

ACTE FONDAMENTAL

« L'An mil huit cent soixante-quatre, le vingt-deux Mars, à huit heures et demie du soir, au Café du Soleil, M. Gustave Bizet, après avoir convoqué les signataires du présent article, a formé avec eux une réunion
d'amis à laquelle ils donnent le nom d'Association Chorale des Jeune-France. »

Cette Association s'occupera exclusivement de musique vocale et n'a d'autre but que de posséder dans
son sein les éléments nécessaires pour chanter des choeurs.

» Lorsqu'elle le jugera convenable, elle donnera des soirées de famille pendant lesquelles on chantera des choeurs, romances, chansonnettes, etc. ; elle pourra aussi prendre part aux fêtes qui pourraient être
organisées à Dunkerque.

» Ont signé: MM. Gustave Bizet, Adolphe Piéters, Ernest Roussel, Jules Lano, Ernest Antoine,
Numa Beaujeu, Auguste Janssoone, Delaoutre, Emile Lano, Udron, Jules Deconinck, Cousyn.»

L'acte fondamental se contentait de spécifier le but de l'Association Chorale des Jeunes-France ; mais il demandait à être complété par un règlement dont nous allons aussi donner le texte. Ces dispositions
statutaires sont brèves et extrêmement simples on peut même mettre en doute leur utilité dans
cette « réunion d'amis » que voulaient être les Jeunes-France. N'oublions pas, pourtant, qu'à Dunkerque nous sommes en Flandre. « En Flandre, quand on est dix, a écrit Camille Lemonnier, on prend un tambour et on descend
dans la rue ». Rien n'est plus exact, mais ce n'est pas complet, car il aurait pu ajouter : on arbore un
drapeau, quand on est dix, et on se constitue un règlement et l'on institue un Comité qui comprend
au moins le tiers des membres.

Les Jeunes-France n'eurent jamais de tambour ; ils ne tardèrent point à acquérir un drapeau, encore superflu puisqu’on ne songeait, pour le moment, qu'à se récréer dans l'intimité, mais ils eussent enfreint toutes les traditions locales si, dès la première heure, ils ne s'étaient liés par le règlement que voici :

REGLEMENT.

ARTICLE PREMIER.

Le nombre des Sociétaires est illimité.

ART. 2.

La Société sera administrée par un Comité composé d'un Président, d'un Secrétaire, d'un Trésorier et
du Chef des Choeurs. Le Président aura voix délibérative. En cas d'absence, le Président choisira pour le remplacer tel membre qu'il voudra parmi les sociétaires.

ART. 3.

Le Secrétaire convoquera les sociétaires sur l'invitation du Président. Il aura un registre sur lequel il transcrira
les procès-verbaux des séances.

ART. 4.

Le Trésorier recevra les cotisations, paiera les dépenses faites pour la Société sur le visa du Président et en remettra tous les ans le bilan.

ART. 5.

Le Chef des Choeurs sera chargé de garder la musique ; il dressera un inventaire de toutes les parties qui lui seront remises.

ART. 6.

Le Comité se concertera pour la musique qu'il voudrait faire venir.

ART. 7.

Le droit d'admission à la Société est de 5 francs . Les 30 premiers sociétaires ne paieront pas de droit d'entrée.

ART. 8.

La Cotisation annuelle sera de 12 francs, payable par trimestre et d'avance.

ART. 9.

Le scrutin pour l'admission d'un membre se fera par bulletin portant l'un des mots: Oui, Non ; l'admission n'aura lieu que si le candidat réunit en sa faveur les 2/3 des suffrages exprimés.

ART. 10.

Le Comité sera renouvelé tous les ans. Les membres qui en font partie pourront être réélus.

ART. 11.

Il sera appliqué une amende de 25 centimes au sociétaire qui manquera à une répétition générale et de 15 centimes pour une répétition partielle.

 

On procéda ensuite à l'élection des Officiers et premier Comité se trouva composé de la manière suivante:

Président: M. Gustave Bizet
Secrétaire: M. J. Lano
Trésorier: M. Ernest Roussel
Chef des Choeurs : M. Adolphe Piéters.

L'Association Chorale les Jeunes-France de Dunkerque était donc définitivement constituée à partir du 2 Mars 1864 mais maintenant il fallait vivre et conquérir sa place au soleil ; c'est à quoi chacun s'appliqua avec ardeur.

Comme les jeunes mariés, les Sociétés qui se fondent traversent aussi la période de la lune de miel pendant laquelle l'avenir paraît beau et où l'on se berce des plus séduisantes espérances les ennuis, les embarras, les discordes viendront plus tard qui troubleront, à certains jours, la bonne harmonie ; on ne s'arrête pas un
instant à la pensée qu'ils puissent surgir. Il en était ainsi alors à la Jeune-France ; comme le proclamait si cordialement l'acte fondamental, elle constituait bien, dans toute la force du terme, une « réunion. d'amis »
que rapprochait la communauté des goûts, qu'animait le désir de cultiver l'art musical et qui, tout au plaisir
des distractions intelligentes qu'il procure, ne songeaient pas encore à sortir de leur intimité ni à briguer des couronnes.